Initiée en 2021, la mise en œuvre de la réforme de la protection sociale complémentaire de la fonction publique poursuit son cours. Alors que les obligations de couverture et de participation financière pour les employeurs de la fonction publique d’État démarreront au 1er janvier 2024, la réforme devrait s’étendre à l’ensemble des trois fonctions publiques (Etat, territoriale et hospitalière) d’ici 2026. Pour autant, les discussions peinent à avancer alors que l’échéance approche.

Si elle est présentée comme nécessaire à l’amélioration de la protection sociale des agents, le sillon creusé par l’instauration du contrat collectif obligatoire dans le secteur privé laisse entrevoir tous les risques que cette réforme peut porter. Décryptage avec Sophie Elorri, notre présidente déléguée, et Sonia Teklaoui, responsable conformité chez Mutami.

En quelques mots, comment résumer la situation  ?

Sonia Teklaoui  : Cette réforme est un grand chantier qui vise à généraliser la protection sociale complémentaire des agents publics, aussi bien en santé qu’en prévoyance, afin notamment d’harmoniser les pratiques entre la fonction publique et les entreprises privées.

Le calendrier d’application n’est pas le même pour les trois fonctions publiques. La fonction publique d’État sera la première à devoir mettre en œuvre ces nouvelles obligations à compter du 1er janvier 2024. Elle servira de base pour les négociations des deux autres fonctions publiques. Pour le volet territorial, la mise en vigueur sera effective au 1er janvier 2025 pour les garanties prévoyance et au 1er janvier 2026 pour les garanties santé. Pour le volet hospitalier, les obligations règlementaires ne concernent que la couverture santé et prendront effet au 1er janvier 2026. Concrètement, à partir de cette date, l’employeur devra participer au financement de la complémentaire santé de ses agents et respecter un seuil de garanties minimales.

 

Sophie Elorri  : La réforme part d’une bonne intention. En abordant, par exemple, le sujet de la prévoyance, dont on parle très peu dans la fonction publique, elle a le mérite de sensibiliser le grand public.

Malgré tout, on est en droit d’alerter sur les risques, car on a déjà le recul nécessaire concernant les conséquences de l’accord national interprofessionnel (ANI) sur le secteur privé. Sa mise en vigueur en 2016 a complètement remodelé le paysage de la complémentaire santé des personnes salariées. Et cette réforme de la protection sociale complémentaire de la fonction publique, ce n’est rien de moins que transférer ce qui s’est passé dans le secteur privé au secteur public, sans prendre en compte les spécificités du secteur.

Quels sont les enjeux de cette réforme  pour la fonction publique territoriale ?

Sonia Teklaoui  : Les grandes lignes sont précisées sur le plan législatif et règlementaire, pour autant, un certain nombre de modalités d’application restent à définir.

Le gouvernement a laissé la main aux négociations collectives pour définir ces modalités. Toutefois, les négociations entre employeurs publics et représentations syndicales peinent à aboutir compte tenu notamment de la diversité des collectivités territoriales (en termes de taille, d’activités, d’emplois…) et donc de la difficulté à définir un cadre prenant en compte les attendus et les besoins de l’ensemble des agents.

Pour le moment, plusieurs possibilités sont proposées à la collectivité territoriale et ses établissements pour respecter ces obligations. Dans le premier cas, l’adhésion individuelle et facultative de l’agent à un contrat labellisé : l’agent choisit lui-même la mutuelle qu’il souhaite pour couvrir ses besoins en santé parmi une liste de contrats labellisés. Ces contrats sont caractérisés par la délivrance d’un label via un organisme accrédité. Ils respectent un certain nombre de conditions et garantissent la solidarité intergénérationnelle entre les bénéficiaires. Dans ce cas, le libre choix de l’agent est conservé.

La seconde option, c’est la convention de participation. L’employeur négocie les garanties avec un organisme de complémentaire santé et souscrit un contrat collectif à adhésion facultative au profit de ses agents. L’agent choisit ou non d’y adhérer. La participation financière de l’employeur est conditionnée par le choix de l’agent d’adhérer au contrat souscrit.

La troisième possibilité, c’est le contrat collectif obligatoire, où l’agent n’a tout simplement pas le choix, il devra adhérer au contrat négocié avec son employeur.

 

Sophie Elorri  : Ces deux dernières options posent un vrai problème.

D’abord car elles aggravent la problématique de solidarité intergénérationnelle. Si le contrat collectif obligatoire est privilégié, les personnes partant à la retraite ne bénéficieront plus de la participation de l’employeur et vont se retrouver en difficulté pour payer leur mutuelle. Et c’est pourtant à ce moment-là de la vie qu’on en a le plus besoin. On l’observe déjà avec nos contrats collectifs obligatoires dans le privé : des adhérents nous contactent après la retraite car ils ne sont plus en mesure de payer leur cotisation.

Mais ce n’est pas tout. Nous l’avons vu avec l’ANI, le risque d’un nivellement par le bas est présent. Les employeurs – pas tous, bien évidemment ! – choisissent majoritairement des paniers de soins peu couvrants pour que la contribution soit la moins chère possible. Cela risque de favoriser les sociétés d’assurances, qui sont déjà dans une logique de dumping des prix pour conquérir de nouvelles parts de marché.

On court le risque, encore une fois, de créer une santé à plusieurs vitesses. Les personnes les plus précaires vont devoir se contenter d’un contrat qui ne correspond pas vraiment à leur situation et ne pourront pas se soigner quand elles en auront besoin. Les personnes qui pourront se le permettre vont souscrire à une surcomplémentaire pour que leur couverture santé soit véritablement adaptée à leurs besoins. C’est ce qu’on voit déjà avec le secteur privé. Sur le papier, le contrat est peut-être moins cher mais il ne couvrira pas autant que les contrats individuels.

Et c’est là où le bât blesse  : si la réforme a été initiée pour protéger les agents de la fonction publique, elle risque d’avoir l’effet inverse. Dans la fonction publique territoriale, il y a beaucoup de fonctionnaires de catégorie C, aux salaires plutôt bas, qui ont des carrières difficiles. Le poids d’une complémentaire santé subie peut plomber ces budgets. Surtout, si c’est mal négocié. Par exemple, pour la fonction publique d’État, la participation de l’employeur est fixée à 15 €, quel que soit le montant de la cotisation. Pour les faibles salaires, si la participation est forfaitaire, le risque de choisir une complémentaire santé peu chère car on n’a pas les moyens de la financer soi-même est loin d’être nul.

En tant que mutuelle engagée dans l’accès aux soins de qualité et parce que nous pensons que chacun peut être acteur de sa santé, nous militons pour le libre choix. Cela passe par le fait de pouvoir choisir l’organisme de complémentaire santé qui nous correspond le mieux, par ses valeurs ou encore par le niveau de garantie qui convient le mieux à notre situation.

Que peut-on faire  ?

Sonia Teklaoui : Mutami se positionne sur le sujet et accorde une grande importance à l’information de ses adhérents et ses partenaires sur le sujet. Nous avons organisé deux webinaires pour donner toutes les informations aux dirigeants, d’un côté, et aux représentants syndicaux, de l’autre, afin de préparer au mieux la réforme et les négociations.

 

Sophie Elorri  : En tant que mutuelle, continuer à se former et s’informer. Se former notamment grâce à notre réseau, qu’il s’agisse de la Fédération des mutuelles de France, qui organise des webinaires réguliers sur les aspects techniques et l’actualité de la réforme. Et informer nos adhérents sur le sujet et sur les risques que nous avons évoqués.

Car en tant qu’agent, vous avez le pouvoir de partager ce contenu à votre réseau, alerter sur la situation qui ne manquera pas d’arriver et informer votre employeur. Aller voir son DRH, son employeur en collectivité territoriale, c’est déjà un premier pas. Car n’oublions pas qu’il s’agit de négociation avec les employeurs de la fonction publique et les syndicats. Le poids des salariés et des militants est important. C’est maintenant qu’il faut se mobiliser sur le sujet, quand il est encore possible de faire bouger les lignes, et pour bénéficier d’accords bien négociés qui mettent réellement les agents en situation de protection sociale.

On peut tous être acteurs de ce sujet  !

Sophie Elorri est présidente déléguée à la mutuelle Mutami. Militante de longue date, elle a rencontré Mutami via ses engagements syndicaux à la CGT. En adhérant à Mutami, elle a également rejoint le comité territorial de sa région (la Gironde) avant de devenir déléguée et, depuis plus d’un an, présidente déléguée avec Jocelyne Le Roux.

Sonia Teklaoui est responsable conformité au sein de la mutuelle Mutami depuis un an et demi et accompagne la mutuelle depuis 5 ans car elle a précédemment occupé le poste de responsable juridique au sein de l’UMG Solimut Mutuelles de France dont faisait partie Mutami. Elle exerce depuis plus de 10 ans le droit de la protection sociale complémentaire (santé et prévoyance) et l’assurance de personnes.